Les troubles du comportement alimentaire ne font l'objet d'aucun suivi en France depuis vingt ans.
Une augmentation notable des troubles du comportement depuis 20 ans ressort d'une étude canadienne portant sur les jeunes dans la province de l'Ontario. L'évolution des TCA est vue d'une toute autre manière par les spécialistes français.
Ce ne sont pas uniquement les filles qui sont affectées par l'anorexie mentale. Elle se démarque même par une hausse préoccupante. Il s'agit des résultats mis en lumière par l'étude sortie dans la revue JAMA (Journal of the American Medical Association) en décembre 2023. Les conclusions publiées suscitent l'alerte avec la hausse des troubles du comportement alimentaires (ou TCA) chez les adolescents de l'Ontario. Il s'agit d'une province du Canada, dans laquelle cette enquête a été menée entre 2002 et 2019. On observe ainsi une évolution allant jusqu'à 139% à propos de ces valeurs qui appellent donc une grande préoccupation chez les adolescents de 5 à 17 ans. La progression chez les garçons atteint quant à elle 416%.
Du côté des études américaines, anglaises et norvégiennes, cette hausse peut également être relevée. Notons que l'anorexie mentale et l'hyperphagie boulimique constituent les troubles du comportement alimentaire. D'après l'Inserm, si ce sont 5% des patients qui sont atteints d'anorexie mentale en 2017, on sait que 50% des cas pris en charge à l'adolescence trouvent une guérison. La question qui se pose cherche à savoir si l'augmentation alarmante relevée au Canada est également notable en France ?
Les troubles alimentaires donnent lieu à des publications mensuelles de la part de Santé publique France (SPF). Ces données ont été ainsi régulièrement transmises depuis l'année 2019. Une hausse significative des cas, dans l'intervalle 2019 et 2023 a alors été soutenue par l'organisme.
En ce qui concerne la période d'avant 2019, la SPF avait apporté comme description : "malgré l'attention médiatique qu'ils suscitent, ils (les TCA, NDLR) ne concernent donc qu'une faible proportion de jeunes et n'ont pas augmenté entre 2005 et 2010 ". On comprend donc que pour SPF il n'y a absolument pas lieu de s'alarmer. Le seul bémol serait l'insuffisance d'une étude rigoureuse des statistiques au sujet des troubles entre 2002 et 2019.
Une augmentation de l'anorexie mentale au niveau de l'ensemble des pays industrialisés a été soulevé par le Pr Patrick Tounian, chef du service de nutrition et gastroentérologie pédiatriques à l'hôpital Trousseau de Paris.
Selon les précisions apportées, en 20 ans, le nombre de cas d'anorexie mentale est passée de 1 à une dizaine voire une vingtaine à l'année au sein du service dédié aux formes sévères et appelant à une renutrition. Ce spécialiste confirme donc bien la hausse des cas au niveau de son service, quand on parle des adolescentes au cours des 20 dernières années.
Il faut cependant éviter de globaliser pour tout le territoire de la France, cette réalité relevant uniquement d'un échantillon de la population. Par ailleurs, le Pr Tounian avoue n'avoir jamais eu affaire à des garçons affectés par l'anorexie mentale dans au niveau de son service. Selon ses termes : " L'anorexie mentale du garçon révèle un très gros trouble psychiatrique sous-jacent, la causalité chez les garçons est différente". Il n'y a donc pas de constat de hausse des troubles chez les garçons de son côté.
L'absence d'études rattachées aux vingt dernières années a en outre été précisée par le professeur Catherine Massoubre, chef de service du pôle psychiatrie et du centre référent TCA du CHU de Saint-Étienne. La raison la plus évidente est son ouverture qui ne date justement que de 2015. Avant cette date, les patients étaient pris en charge à travers plusieurs services distincts.
Il faut cependant retenir cette remarque : "depuis 2015 on continue à avoir un afflux, comme un puits sans fond". Quoi qu'il en soit, elle ajoute qu'il y a une stabilité du nombre des patients depuis 2015 puisque le nombre des nouveaux cas par année reste le même ».
La différence des observations émises par les deux professeurs spécialistes entraîne des questionnements concernant les réalités constatées. Il s'agit en l'occurrence des hausses que l'on ne peut passer outre en Ontario et celles visibles dans le service du Pr Patrick Tounian.
Par rapport à cela, une meilleure détection des maladies par les professionnels de santé fait partie des hypothèses à ne pas écarter. On peut également le mettre sur le compte de la réduction de la stigmatisation liée à la santé mentale ou encore sur le fait que les patients ont développé une meilleure connaissance des maladies faisant que la détection en est améliorée.
Le Pr Tounian partage l'existence d'une prédisposition génétique à développer l'anorexie mentale. Il précise que "les éléments environnementaux sont des facteurs déclenchants, pas causals". Par conséquent, lorsque le caractère anxiogène de l'environnement des adolescents s'aggrave, cela a éventuellement bien un impact. D'après lui, "les scandales alimentaires, l'écoanxiété et les guerres forment un contexte mondial perturbé".
En 2021, une étude du Lancet se rapportant à l'impact de l'éco-anxiété chez les jeunes faisait apparaître que les Européens de 16 à 25 ans étaient 56 % à considérer que l'humanité était condamnée.
Pour le professeur Tounian, les déviances alimentaires ont connu une explosion parallèlement à l'augmentation du végétalisme et du flexitarisme.
Le Credoc avait mené une étude portant sur un échantillon d'individus et visant à questionner le sens auquel renvoyait mots le terme d'alimentation de qualité. Parmi les réponses, étaient relevées en tête de liste, les mots « bon » et « goût ». C'était en l'année 2000. 18 ans plus tard, la même étude effectuée fait ressortir des tout autres résultats avec les termes « bio » et « sans ». On note alors une substitution du plaisir alimentaire par la peur de s'alimenter, et ce en vingt ans. Ce sont en fait les produits chimiques comme les conservateurs ou résidus de pesticides qui suscitent la crainte de la population.
Les données publiées par le haut conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge, en date du 7 mars 2023, insiste sur le fait que "la prévalence de consommation en population pédiatrique entre 2010 et 2021 a augmenté de 35 % pour les hypnotiques et les anxiolytiques" ; il est de 179 % dans le cas des antidépresseurs et de 114 % pour les antipsychotiques. Quant aux psychostimulants, le pourcentage atteint les 148%.
Une différence flagrante de 2 à 20 fois plus que ce qu'on observe pour l'ensemble de la population en générale ne peut passer inaperçu. Ce qu'on peut conclure c'est que les enfants sont alors clairement sujets davantage à la souffrance psychique et aux difficultés psychologiques par rapport aux adultes. Même chose en ce qui concerne la médication. Il faut aussi dire que les effets des confinements en raison de la pandémie de Covid n'ont guère amélioré les choses.